En tant que psychothérapeute, j’observe depuis quelque temps une évolution marquante dans la manière dont les personnes abordent la parole et la recherche d’aide psychologique. De plus en plus de patients me confient s’être tournés, avant une première rencontre, vers des outils d’intelligence artificielle comme ChatGPT pour exprimer leurs émotions, formuler leurs inquiétudes ou tenter de comprendre ce qu’ils traversaient.
Et cela n’a rien d’étonnant. L’intelligence artificielle est aujourd’hui partout, et elle s’impose comme un espace accessible, disponible et sans jugement. À toute heure du jour ou de la nuit, il suffit de quelques mots pour obtenir une réponse, une reformulation, parfois même une forme d’écoute.
Dans un monde où l’immédiateté et la solitude coexistent, cette possibilité peut sembler réconfortante. Elle offre un premier appui, un espace où l’on ose dire, où l’on se sent entendu — du moins en apparence.
Mais derrière cette apparente écoute se cache une réalité fondamentale : une intelligence artificielle ne ressent rien.
Elle ne perçoit pas les tremblements dans une voix, les hésitations, les larmes retenues ou les silences lourds de sens. Elle ne voit pas le regard, ne capte pas les mouvements du corps, ne perçoit pas la fatigue, la peur ou la pudeur. Elle ne vit pas la rencontre.
Or, c’est justement là que réside le cœur du soin psychique.
🤝 Le soin psychique, c’est une rencontre
La psychothérapie n’est pas une simple conversation. Elle est une expérience de rencontre.
Un lieu où la parole peut se poser, se chercher, se risquer, dans un espace sécurisant et bienveillant.
C’est un temps où le thérapeute accueille la parole dans toute sa complexité, sans chercher à la corriger ou à la rationaliser, mais en lui donnant la possibilité d’exister pleinement.
Dans la séance, j’écoute les mots, mais aussi tout ce qui se dit autrement : les silences, les gestes, les regards, les émotions implicites.
J’écoute ce qui émerge, ce qui se répète, ce qui résiste.
J’écoute aussi ce que la personne ne parvient pas encore à formuler.
Ce travail d’écoute ne vise pas seulement à comprendre : il vise à accompagner.
Accompagner un être humain dans sa singularité, dans son rythme, dans son histoire.C’est dans cette alliance — fragile, mais vivante — que peut se produire une véritable transformation.
🤖 L’IA peut être un outil, mais elle n’est pas une présence
Je ne vois pas l’intelligence artificielle comme une ennemie.
Elle peut être un outil de soutien, un complément, une première porte d’entrée pour certaines personnes.
Elle peut aider à formuler, à réfléchir, à organiser ses pensées, à identifier des émotions.
Mais elle n’a pas de regard, pas d’affect, pas d’inconscient.
Elle n’habite pas la parole : elle la reproduit.
Le danger n’est pas tant que l’IA remplace les psychologues, mais qu’elle donne l’illusion d’une présence, alors qu’elle ne fait que simuler la compréhension.
Et cette illusion, si elle se substitue au lien humain, risque de fragiliser davantage ce dont notre société manque déjà cruellement : la relation véritable.
🌿 Redonner toute sa place à l’humain
À l’heure où la technologie occupe de plus en plus de place dans nos vies, il me semble essentiel de rappeler que le soin psychique repose sur la présence.
Une présence humaine, incarnée, imparfaite parfois, mais vivante.
Une présence qui accueille sans juger, qui écoute sans précipiter, qui reconnaît sans réduire.
La parole a besoin d’un lieu vivant pour se déployer.
Elle a besoin d’un visage, d’un regard, d’une attention réelle.
C’est dans cette rencontre — fragile, imprévisible, mais profondément humaine — que s’ouvre le chemin vers soi.
L’IA peut offrir des réponses.
Mais seule la relation humaine permet de se sentir véritablement compris, entendu et transformé.
